Soléja dans
l'océan indien : étape Seychelles, Maurice. Départ en convoi.
Lundi 11 mai :
Nous avons rendez-vous à 10 H pour revoir les consignes de la feuille de route,
puis effectuer les dernières formalités pour les bateaux qui ne sont pas à jour,
et enfin voir le capitaine de la barge d'accompagnement pour les dernières
consignes.
- Tous feux éteints, pas de feux de routes, ni à l'intérieur.
- Trafic radio V H F limité, puissance minimale : 1 watt.
- B L U à éviter. Veille permanente sur 360°. Vitesse et cap constant : 7 nds à
90° sur 10 milles puis 130°.
- Respecter les procédures d'alerte radio.
- Amandla II envoie un Email des positions toutes les 6 H au P C de l'armée à la
Réunion.
Nous devons lever l'ancre et nous retrouver, les deux yachts à moteur et les
deux voiliers à 14 h à Eden marina.
A 13 H 45, je relève l'ancre. A peine ai-je effectué ma manouvre que j'aperçois
Jean-pierre qui me fait signe de venir au ponton. Nous devons aller signer un
dernier document à l'emplacement de Amandla II et Sea Cellar.
Cette petite démarche nous prend 1 H. 15 H, les quatre bateaux sortent du lagon.
La barge nous attend et nous nous mettons en ordre de marche : Les deux yachts à
moteur devant, Soléja le plus petit en arrière suivi de
Alcyone le cata Outremer
55, puis la barge légèrement sur le côté.
Nous partons au cap 90° sur cinq milles puis à 16 H, nous nous mettons au 130°
sur le banc des Mascareignes à 400 milles, vitesse de 7,3 nds. Par léger vent
de Sud Est et mer belle, Yan ronronne à 2300 tours. Nous voilà enfin partis !
A 17 H, Alcyone appelle à la V H F : « nous avons pris notre première bonite »
!!!
Moi, je n'avais même pas pensé à mettre une ligne. Puisque tout se passe bien,
que la mer reste belle, je lance un leurre, nous verrons bien. 18 H 30, tiens,
quelque chose traîne derrière en surface, j'ai dû attraper une algue ou un sac
plastique. Je remonte la ligne, je ne sens aucune secousse, ça doit bien être
une saleté quelconque. Oh ! Un poisson, une bonite ! Elle ne bouge plus, elle
doit traîner depuis dix
ou vingt minutes. Maintenant, il va falloir la dépecer et lever les filets, j'ai
pour un bon moment de travail sur ma planche à découper à
l'arrière de Soleja !
Evidement, au menu du soir : Bonite en carpaccio au citron en entrée et pavé de
bonite poêlé pour le plat principal, au dessert, papaye, faut pas exagérer tout
de même !
Et ron, et ron, la nuit s'écoule calmement, nous devisons par VHF, Dominique
appelle souvent. Nous sommes en veille sur le canal 16 et nous utilisons le 9,
celui des pêcheurs, pour communiquer entre nous à faible puissance pour ne pas
être intercepté par des navires au loin.
Je passe la nuit allongé sur le coussin du cockpit, je somnole un peu entre deux
conversations à la V H F.
Mardi 12 mai :
2 H, Jean-Pierre d'Alcyone appelle, il a un problème de moteur, l'un de ses
moteurs a des ratées depuis un moment et finit par s'arrêter
complètement. Ayant déjà connu ce phénomène, je lui conseille de changer ses
filtres, chacun de nous y va de son conseil !
Sur un seul moteur, sa vitesse est redescendue à 4,5, 5 nds. Malgré des filtres
neufs, le moteur ne veut rien savoir.
Fanch, le skipper de Sea Cellar, pêcheur professionnel de Houat (petite île du
sud Finistère) et bon mécanicien lui conseille de démonter le circuit de fuel en
partant du réservoir et de purger tous les tuyaux.
Le moteur récalcitrant daigne repartir,
crache une épaisse fumée blanche en
signe de vive protestation pendant quelques minutes puis s'arrête de nouveau et
ne veut plus rien dire.
Vers 7 H 30, un grain nous envoie une belle ondée et le vent monte à plus de 15
nds pendant une petite heure puis retombe.
Nous avons parcouru une centaine de milles depuis notre départ sans rencontrer
âme qui vive malgré les radars supers puissant des deux «trawlers » qui portent
à 90 milles.
De temps en temps, un petit clapot anarchique nous arrive par le sud et provoque
une mer bouillonnante, un bien curieux phénomène.
Jean-Pierre passe tout son temps à essayer de remettre en marche son moteur.
Vers 16 H, il nous signale que son second moteur donne des signes de faiblesse.
Heureusement le vent de Sud commence à se lever, et Alcyone peut envoyer sa GV
et accélère un peu mais doit s'écarter de la trajectoire.
Mercredi 13 mai :
1 H, le vent de S E de 5, 6 nds nous arrive et lève une petite houle. Nous
progressons entre 5,5 et 6 nds sous la belle clarté blafarde de
Dame lune, toute ronde.
Alcyone a du mettre de l'est dans sa route pour garder le vent, nous le suivons
à bonne distance. Au petit jour, le vent de S E s'accentue et sa houle se lève.
J'envoie ma G V.
Maintenant, la houle de S E se double toutes les heures d'une désagréable houle
de Sud plus forte qui dure cinq à dix minutes.
Vers 10 H le vent monte à 10 puis 15 nds, j'envoie le génois et mets Yan au
repos. Nous virons de bord afin de ne pas trop nous éloigner de notre route
théorique du 130°.
A 11 H, le vent poursuit son ascension à 18 nds et Soléja accélère à 7, 5 nds.
Je dois prendre un ris pour attendre qu'Alcyone nous rejoigne, il est parti loin
sur l'Est. Il doit appuyer au moteur pour faire du cap et gagner au vent. Je
fais du 185° au près serré à 35, 14° du vent apparent.
A 13 H 30, les deux « trawlers » ne veulent plus faire de sud et nous décidons
de mettre fin au convoie. Nous sommes à 265 milles de Victoria au point : 7° 34'
50 S - 58°37' 64 E. La flottille se sépare, les deux yachts à moteur partent
vers l'Est puis Phuket, les deux voiliers vers le Sud.
Tandis que Soléja file au cap 185° au près vers Maurice, Alcyone part au 210°
vers le Sud de Madagascar pour rejoindre la Cap directement. Je reste en contact
visuel et VHF avec son équipage à la tombée de la nuit.
Notre escorte a choisi de m'accompagner et me suit à distance. Mais vers 21 H,
je la cherche partout et ne la vois plus. Elle a sans doute décidé que son
contrat était terminé et a rebroussé chemin.
Je commence ma première nuit véritablement solitaire depuis Victoria, il me
reste 730 milles pour Maurice. Je m'installe sur mes coussins de cockpit pour
dormir un peu. Soléja poursuit sa route à 6,5 nds dans une mer agitée, Bob nous
pilote et garde le cap !
Dans la nuit, le vent passe à 18, 20 nds et le ciel se couvre peu à peu
Jeudi 14 mai :
Au lever du jour, le vent de Est Sud Est se maintient entre 15 et 20 nds et
Soléja file ses 6,5, 7 nds au 180° sous génois et G V arisée. (9°
12' 97 S 6 58° 25' 94 E), il reste 660 milles pour Maurice.
En début d'après midi, le vent faiblit un peu, je largue le ris de la GV et je
dois même remettre Yan quelques instants à 1400 tours.
Vendredi 15 mai :
La nuit a été calme, le vent régulier et la mer a amené une houle bien ronde.
Durant la matinée, le vent se maintient, vers 9 H il monte jusqu'à 20 puis
redescend autour de 12, 15 un instant pour reprendre un peu plus tard et notre
vitesse reste autour de 6, 5, 7 nds.
En soirée, l'Est Sud Est monte autour de 20 nds, la mer se creuse un peu plus,
je dois prendre un ris dans la G V. Le ciel dégagé laisse Dame lune resplendir
de tous ses éclats. Elle éclaire le sillage de Soléja qui file à 7, 8 nds à
l'assaut des crêtes d'écume.
Samedi 16 mai :
Dès minuit le temps s'est couvert, la mer s'est creusée et j'ai essuyé 5 ou 6
grains sous des vents changeants de direction constamment. J'ai du barrer
souvent pour suivre le vent et éviter de manouvrer en permanence. De plus, les
trains de forte houle de Sud arrivent plus fréquemment et de plus en plus
fortement.
Vers 11 h le vent faiblit puis tombe presque complètement, je largue le ris et
je dois solliciter Yan à nouveau pour quelques heures.
Beau temps, la journée est belle, peu de vent jusqu'au soir. Dès le début de
soirée, le vent revient et monte rapidement. A minuit, je suis sous voilure
réduite, 1 ris dans la GV et la moitié du génois par 25 à 30 nds. Soléja
maintient les 7 à 8 nds malgré une mer dure et les houles croisées de plus en
plus fréquentes.
Dimanche 17 mai :
En début du jour les conditions difficiles, le vent à 30 nds avec rafales
jusqu'à 38 et la forte houle croisée transforment Soléja en shaker sur des
montagnes russes. Mais mon frêle esquif chevauche ces collines liquides à 8 nds
et se lance inlassablement d'une crête à l'autre, piquant son étrave dans la
vague, encore et encore . J'en suis tout ému de penser que mon Soléja m'emmène
comme ça, loin, inlassablement, presque sans effort de ma part.
En fin de matinée, je vois de l'eau sur le plancher vers la cuisine. Qu'est ce
donc ?... Au près avec 20° de gîte, serait ce l'eau des fonds ? Je soulève le
plancher de la cabine avant, la réserve est pleine, j'enclenche la pompe de cale
en me demandant pourquoi elle ne s'est mise
en route automatiquement. Je vérifie également la calle moteur, pleine
également, même question, même action. Mais les niveaux ne baissent quasiment
pas, il faut employer les grands moyens, le seau. Je remplis un seau avec une
grande casserole et je le vide dans l'évier. Je ne le vide pas dans le cockpit
parce que l'eau des fonds est grasse, elle rendrait le plancher du cockpit
glissant.
Le niveau baisse très lentement, pourquoi les pompes ne sont elles pas plus
efficaces ? Je passe la main sous la crépine du moteur et là, je comprends ! En
lavant les fonds, l'eau a ramené toute sorte de détritus accumulés et la crépine
est complètement colmatée. Une fois celle-ci nettoyée, la pompe fonctionne à
plein et le niveau d'eau baisse rapidement. Au tour de la pompe avant
maintenant. Elle subit le même traitement.
Les fonds étant asséchés, il faut désormais trouver la cause de ces voies d'eau.
Je soulève les planchers les uns après les autres, mais je
ne vois pas d'entrée d'eau . Soudain je me rends compte que les fonds avant se
remplissent à nouveau. Là je vois, l'eau arrive par la baille à mouillage en
assez grande quantité. A 8 nds au près serré l'étrave pique très souvent dans la
vague et l'eau entre sous pression dans la baille qui n'a pas le temps de se
vider entre deux vagues. L'eau passe par l'écubier du puit à chaîne et s'écoule
dans les fonds. Au bout d'un moment, les crépines ont été colmatées par les
matières grasses et les pompes n'ont plus pu assurer leur tâche.
Première chose à faire, ralentir et limiter la gîte, donc prendre un second ris
et comme cela n'est pas suffisant, je roule encore un peu de
génois. Soléja poursuit sa route à plus de 6,5 net 7 nds et je vais sur l'avant
vérifier la protection de la baile à mouillage. Je la renforce
par l'adjonction d'une bâche sous le capot. OUF !!!
Je vais pouvoir me faire un petit repas pour reprendre des forces.
L'après midi se passe plus calmement, Soléja navigue au près presque à plat
entre 6,5 nds sous deux ris et 1/3 de génois : c'est super !
La première partie de nuit se passe de la même manière, aussi calme sous le ciel
étoilé.
Lundi 18 mai :
Vers 4, 5 H, le vent d'Est Sud Est redescend à 18, 20 nds, la vitesse de Soléja
passe en dessous de 6 nds. Ce matin la houle de Sud Est ondule très
régulièrement sous le vent et m'offre un spectacle émouvant.
Vers 10 H, Eole paresse à 15 nds, Soléja se traîne à 5 nds, je largue les ris et
envoie tout le génois. Soléja se débride aussitôt. Il me reste une centaine de
milles à parcourir. Je sais depuis que j'ai du ralentir que je n'arriverais pas
aujourd'hui à Port Louis, mais demain matin au petit jour.
En milieu d'après midi, Eole se reprend, 15, 20 nds, en changeant plusieurs fois
de direction d'Est à Sud Est. Je dois souvent régler les voiles et manœuvrer
pour garder mon cap.
En fin d'après midi Eole s'essouffle et tombe, Yan doit se remettre à ronronner
et va m'accompagner toute la nuit.
Mardi 19 mai :
Dès minuit j'aperçois les lumières de la pointe Nord de Maurice, je suis
surpris de leur ampleur. Je laisse un peu de large pour éviter
quelques pêcheurs et autres bateaux. Je suis désormais à l'abri de l'île et la
houle a disparu. Je descends la côte à 4, 5 nds afin d'arriver à l'entrée de
Port Louis au petit matin.
Vers 7 H je passe les premières balises d'entrée de port et j'appelle 0 la VHF
pour prévenir les douanes et les gardes côtes de mon arrivée. A 8 H j'amarre Soléja au quai des douanes en plein centre ville. Me voilà arrivé dans l'une des
principales îles de l'archipel des
Mascareignes.
Position : 20° 09' 576 S - 57° 30' 017 E, 1150 milles parcourus.
La matinée se passe à effectuer les formalités, sans problème, les autorités
sont très avenantes, mais un peu longues. Vers midi tout semble terminé, je fais
la connaissance de Yves, plaisancier réunionnais vivant à Maurice. Il me
conseille une place à la marina de Caudan, de l'autre côté du bassin et se
propose de venir à bord pour m'aider à l'accostage étant donné l'exiguïté des
lieux. En effet, je dois faire demi tour dans le bassin de Caudan entre les
bateaux amarrés : un peu short !
Me voilà installé en centre ville. Le « water front » de Port Louis a été
repensé et construit dans un style moderne par des architectes sud
africains. Il ne subsiste que quelques traces des bâtiments anciens, mais le
résultat est agréable : place et zone piétonne en front de mer,
des rues commerçantes en arrière plan. Je suis à nouveau surpris de trouver une
ville aussi moderne et aussi active.
Demain Solange arrive d'Annecy, nous allons commencer les visites de l'île.