Hier, vendredi, nous avons terminé notre approvisionnement, Soleja se retrouve chargé jusqu'à la ligne de flotaisons. Nous avons remplis tous les coffres de victuailles de toutes sortes, nous avons acheté au moins 15 Kg de fruits et légumes : radis, courges, carottes, choux, patates, aulx et oignons, mangues, bananes, pommes, citrons verts, ananas. Nous partons avec 600 L d'eau dans les réservoirs et 100 L d'eau minérale, 650 L de gasoil et 30 L d'essence pour l'annexe et le groupe électrogène et je vous passe les liquides pour nous. Soleja n'a jamais été chargé de la sorte, mais il supporte allègrement, il sait qu'il va gagner le large et cela lui plait par-dessus tout, il est prêt à endurer sans sourcilier.

Samedi 31 mars :
6 H 30, je suis réveillé par le vrombissement du moteur de notre voisin Pacco. Il se trouve déjà sur le pont et s'apprête à relever son ancre. Il craint quelques difficultés, elle est plantée dans la vase depuis 7 mois, elle doit être bien enfoncée.

Autour de nous, comme à l'accoutumée, les barques de pêche sont en effervescence, tous le monde se prépare au départ. Je réveille immédiatement Yan afin qu'il s'échauffe un peu avant l'effort, le matin, le vent ne se lève pas de bonne heure. Je branche les instruments : Gps, lock, speedo, sondeur, pilote auto, et la VHF, nous sommes parés. Yan a réveillé Salvatore, le voilà sur le pont, nous pouvons relever l'ancre.
Ces préparatifs nous ont pris une petite ½ heure, désormais il me faut trouver le chemin de la sortie au milieu de ces centaines d'embarcations et éviter les épaves. Je slalom en direction du quai des grands chalutiers et le longe, là, la profondeurs augmente et notre sécurité de même.
En empruntant la passe de sortie du port je me retourne pour admirer le fascinant spectacle des chalutiers de toutes taille qui emplissent la baie de Manta et j'en profite pour fixer les derniers clichés. Maintenant, cap au 270° sur l'archipel des Galapagos, il est 7 H 30 et nous avons environ 535 miles à parcourir pour atteindre le prochain point de route au sud de l'île San Cristobal.
Moteur donc à 1800 t, 6 nds, le miroir de la mer reflète le gris pale du ciel avant l'arrivée du soleil et le vent se fait désirer. Nous profitons du panorama tout en pastel des falaises dans le petit matin, le soleil se lève lentement derrière les montagnes  et va peindre le paysage aux couleurs du jour.
Il est temps de prendre notre petit déj, chemin faisant, nous restons à bonne distance de la pointe San Mateo, et vers 10 H nous passons la Pointe de Jome, nous apercevons au sud la plus ouest de l'Equateur, le Cabo San Lorenzo.
Pour midi je vais préparer une fricassée de courge et d'oignons, mais oui, mais oui, nous pourrons l'assemblée avec une salade ou des pâtes.
 

Vers la mi-journée nous envoyons la GV, un petit air nous arrive du N W, il devrait passer au SW puis au S selon les prévisions de « grib.us » (merci Philippe).
Dans l'après midi ces prévisions se concrétisent et nous déroulons le génois, Yan peut enfin se reposer, nous glissons entre 5,5 et 6 nds au près bon plein à 60° du vent apparent sur une mer quasiment plate. Ce rythme effréné va nous permettre de passer une agréable première nuit dans cette première vraie petite traversée du Pacifique. Nous assistons à un fabuleux coucher de soleil, l'horizon s'embrase complètement et les couleurs vives laissent peu à peu la place aux pastels qui à leur tour s'assombrissent lentement pour attendre le lever de dame lune dans des tons plus clairs et un peu dilués.
La nature nous gâte, elle nous offre ce qu'elle a de plus spectaculaire pour notre première nuit, nous sommes comblés. Nos sommes quasiment à la pleine lune, le ciel reste parfaitement clair, nous voyons comme en plein jour, les étoiles brillent de tous leurs feux.
23 H 30, position 00° 46' 73 S - 82° 05' W,
IL NOUS RESTE 450 Miles pour notre prochain Way Point San Cristobal Sud

Dimanche 1er avril :
Et bien oui, nous voilà arrivés dans ce paradis sur terre : les GALAPAGOS, la traversée aura été très courte et rapide finalement, nous ne nous sommes rendu compte de rien.
Il faut bien sacrifier à la tradition du 1er avril.   (Ouaf !!! Ouaffff !!!)

Sur le petit matin, le vent nous a lâché, Yan a du prendre le relais, 1500 T, 6 nds. En début d'après midi, Eole revient, 10 à 12 et même 15 nds, nous atteignons parfois les 7 nds. Vers 16 H, nous essayons un nouvel attelage, nous gréons la trinquette et le génois.
Finalement, l'ensemble fait bon ménage du près bon plein au vent de travers. A la tombée de la nuit nous heurtons un poteau de mine, apparemment sans dommage aucun.
18 H, position : 00° 48' 27 S - 83° 54' 86 W, il nous reste 340 Miles.

Lundi 2 avril :
De 5 à 7 h, nous devons demander l'aide de Yan, Eole se repose 2 H avant de revenir. Il est 10 H 30, j'entends un vrombissement, tout d'abord, je crois à un bateau, je sors, je cherche, rien. Le bruit sourd amplifie, il se rapproche, le voilà, un avion arrive sur notre poupe, il passe à ¼ de mile à peine, je suis sur l'arrière de Soleja et je le regarde passer. Je pense à un avion de la ligne Equateur Galápagos et je me dis que les passagers vont être content de voir un voilier depuis la haut. L'avion tourne lentement sur notre proue, je pense que là, le pilote fait du zèle pour ses passagers.
Et il poursuit son tour, il nous encercle d'un 360°, puis se dirige vers le nord.
Bizarre, ce ne doit pas être un vol régulier. Je rentre, branche la VHF, je me dis qu'il y a peut être quelque chose d'exceptionnel, qu'il a voulu me dire quelque chose.
En effet, Il appelle : « Soleja !», bien sûr en anglais, je passe le combiné à Salvatore qui s'éveille à peine, il parle mieux l'anglais que moi, c'est facile.
Le pilote ou son aide nous demande  si nous sommes bien le voilier français SOLEJA, combien nous sommes et si tout se passe bien à bord.

Il s'agit certainement d'un patrouilleur américain de surveillance des côtes.
Ce soir encore, nous assistons à un merveilleux coucher de soleil, particulièrement coloré. Comme à l'accoutumée le passage du relais à la lune s'orchestre admirablement, les couleurs se fondent à l'ouest pour les unes et naissent à l'est pour la lune dans un synchronisme parfait. Peu à peu le domaine du gris bleuté nous enveloppe et s'installe.
Vers 9 H, le vent nous a quitté et une brume laiteuse se lève lentement, elle obscurcit le ciel, cache la lune et s'épaissit jusqu'à ce que la visibilité n'atteigne plus qu'1/4 de miles. Nous allons progresser dans cette ouate épaisse et blanchâtre toute la nuit.
Les instructions nautiques signalent ce phénomène à l'approche de l'archipel des Galápagos.

 Mardi 3 avril :
Lorsque je prends mon quart à 3 H, la situation n'a pas évoluée, Salvatore me dit que nous avons croisé un cargo tout proche. Nous avançons à 5,5 nds, toujours tirés par un courant favorable de plus d'un nds, ceci pratiquement depuis la sortie de la baie de Manta. Il s'agit du courant froid d'Humbolt qui remonte le long des côtes du Chili, puis oblique à l'ouest vers les Galápagos. Nous sentons son influence depuis le premier jour, nous devons nous vêtir le soir, c'est la première fois que je sors le « jean » et la veste polaire depuis mon départ d'Annecy.
 
Pour info: (je me permets l'écart d'un encart)
Le courant de Humboldt venant d'Antarctique est froid et maintient une zone de haute pression sur le Pacifique qui empêche l'arrivée de pluies.
C'est un courant qui longe, du sud vers le nord, la côte ouest de l'Amérique du sud.
Il a été nommé ainsi en l'honneur d'Alexander Von Humboldt (1769 - 1859) qui a réalisé de nombreuses expéditions scientifiques dans cette région.
Ce courant a des conséquences sur le climat, la flore et la faune de la région.
Durant le phénomène d'El Niño, il disparaît et laisse sa place à un courant chaud, diminuant le plancton et augmentant alors les précipitations de la façade pacifique de l'Amérique du Sud. Le premier signe d’apparition d'El Niño est un renforcement considérable de ces vents de sud-est. Ils entraînent une accumulation d’eaux chaudes dans le Pacifique ouest, faisant monter le niveau de lamer sur les côtes australiennes. Mais dès que les vents du sud faiblissent, les eaux « chaudes » du Pacifique Ouest envahissent celles du Pacifique Est. C’est alors le début du phénomène. El Niño peut donc être relié à un affaiblissement temporaire, et très prononcé, de l’anticyclone présent au milieu du Pacifique. La force des alizés du sud-est diminuant, on assiste à un reflux en masse, vers les côtes américaines où les eaux sont plus basses, de l’eau chaude accumulée dans la partie occidentale du Pacifique Sud. (Le Webmestre)
Friedrich Heinrich Alexander, Baron von Humboldt, plus connu sous le nom d'Alexander von Humboldt, et dont le nom est souvent francisé en Alexandre de Humboldt, est un naturaliste et explorateur allemand, né le 14 septembre 1769 à Berlin et décédé le 6 mai 1859 au même lieu (château de Tegel).
Par la qualité des relevés effectués lors de ses expéditions, il a fondé les bases des explorations scientifiques.
Humboldt était considéré par les plus grands scientifiques de son temps, comme une véritable encyclopédie ambulante.

Les écrits sud-américains de Humboldt comprennent 30 volumes publiés sur 30 années. Ils sont composés de livres scientifiques, d'atlas, de traités de géographie et d'économie sur Cuba et le Mexique, un récit de ses voyages et un Examen critique de l'histoire de la géographie du Nouveau Continent. Humboldt a rédigé ses écrits scientifiques en collaboration avec d'autres savants. Durant les dernières années de sa vie, Humboldt rédige le Cosmos, résultat des cinq années de travail sur les sujets présentés lors de ses conférences. Il y décrit en cinq volumes toutes les connaissances de l'époque sur les phénomènes terrestres et célestes. Le but de cet ouvrage est de communiquer l'excitation intellectuelle et la nécessité pratique de la recherche scientifique.
Humboldt a forgé des nouvelles expressions comme isodynamiques, isothermes, isoclines, jurassique, orage magnétique.
Il a jeté les bases de la géographie physique et de la géophysique, notamment de la sismologie. Il montre qu'il ne peut pas y avoir de connaissance sans expérimentation vérifiable.
C'est lui qui attire l'attention des Européens sur la richesse minérale de l'Amérique du Sud.
La relation historique du Voyage aux régions équinoxiales de Humboldt inspirera de jeunes naturalistes comme Darwin, Louis Agassiz et William James.

Spheniscus humboldti
Bien que manchot, Humboldt a laissé de nombreux écrits scientifiques.(Ndlr)

Dans la matinée, la brume s'estompe et en début d'après midi, un vent léger nous permet d'envoyer la toile. Ce petit vent de sud ne va pas s'établir vraiment, il nous oblige, tour à tour à rouler puis dérouler le génois. En fin d'après midi nous serons même à sec de toile et progresserons au moteur à bas régime. Nous n'avons plus que 60 miles à parcourir, mais nous n'arriverons que demain en début de matinée donc nous ne sommes pas pressés.
Vers 9 H 30, alors que mon équipier viens de se coucher, j'entends un grand souffle sur tribord arrière, comme une vague qui verse. La surface de l'eau étant parfaitement plate, ce ne peut pas être ça. Puis un second souffle se fait entendre, un troisième et d'autres, assurément, ce ne peut être que des baleines, malheureusement, la brume nous empêche de les voir. Nous entendrons une bonne douzaine de respirations, tout proche, puis de plus en plus loin. Que d'émotions vous dis-je !!! Clip baleine
Il est minuit, notre position : 1° 05' 75 - 89° 02' 75 W , il reste 33 miles pour atteindre le sud de San Cristobal, la première île à l'est de l'archipel. Nous terminons tout tranquillement cette traversée qui s'est effectuée sur une mer plate et par un vent réel maximum de 12 nds, notre vitesse, grâce au courant est restée entre 5 et 7 nds. Cette nuit nous faisons notre possible pour ne pas dépasser les 5 nds afin d'arriver de jour au mouillage de Baquerizo

Mercredi 4 avril :
Je reprends mon quart à 4 H nous sommes au point : 01° 00' 76 S - 89° 26'10 W ? à 11 miles de notre atterrissage.
La brume ne nous a pas quitté de la nuit, Yan à 1300 T et le courant nous poussent aux environs de 5 nds vers notre destination.
8 H nous doublons la « Punta dei Naugraio » et nous longeons la côte à ½ M en nous tenant à bonne distance des nombreux récifs. A l'entrée de la baie Baquerizo se trouve un paquebot de croisière au mouillage, derrière lui nous découvrons un grand nombre de voiliers à l'ancre, nous nous glissons à très faible allure parmi eux et cherchons un emplacement adéquat.
Les fonds varient entre 7 et 10 m. A 8 H 30 nous jetons l'ancre par 8 m, après avoir prévenu la capitainerie de notre arrivée.
Derrière nous une multitude de barque de pêche et de chalutiers de petite taille attendent leur capitaine, en se balançant sagement au gré de la petite houle qui entre. Dans un instant, nous partirons voir les autorités pour faire nos papiers d'entrée dans l'achipel, j'espère que cette fois- ci, ce sera un peu plus rapide qu'à Manta.
Voilà voilà, nous sommes bien arrivés cette fois ci, ce n'est pas un poisson d'avril.